Description
« L’émotion est d’abord un choc quasi physique», affirme le philosophe Georges Vigarello, directeur d’un ouvrage collectif (L’histoire des émotions) et co-commissaire de l’exposition organisée sur ce sujet au musée Marmottan Monet en 2022. Un choc que chaque artiste espère faire naître dans l’oeil de celui qui regarde son oeuvre, après l’avoir ressenti lui-même devant son sujet. Comme le dit Jean-Pierre André Leclercq, dont les nus évoquent sensualité et intimité, « avant tout, mon objectif est de créer une émotion positive – en commençant par la mienne ».
Cet objectif devrait être celui de tout peintre ou des-sinateur, quel que soit son style – figuratif ou abstrait –, sa technique et son sujet. « La peinture est une poé-sie qui se voit au lieu de se sentir, et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir », affirmait Léo-nard de Vinci. Un peintre qui sait de quoi il parle tant son œuvre la plus célèbre suscite de nombreux senti-ments. Les spectateurs ne sont-ils pas touchés par le mystère, la sérénité, la mélancolie de La Joconde ? Des chercheurs ont utilisé un logiciel pour analyser leurs réactions. Pour la grande majorité (83%), Mona Lisa exprime le bonheur. Mais 9% évoquent le dégoût, 6% la peur et 2% la colère !
Il n’est pas certain que le maître italien ait pensé faire une impression aussi contrastée. Mais c’est sans doute aussi ce qui fait la puissance d’un tableau. À une époque où l’intelligence artificielle est capable de pro-duire des « oeuvres » d’une qualité impressionnante – mais c’est aussi ce que l’on a dit de la photographie, à l’image de la célèbre phrase de Paul Delaroche, « À partir d’aujourd’hui, la peinture est morte ! » il y a près de deux siècles –, la raison d’être d’une peinture ou d’un dessin réside dans cette capacité unique, qui va bien plus loin qu’une maîtrise technique toujours perfectible, à partager une émotion devant un visage, un corps, un paysage ou une composition de formes et de couleurs. Il ne faut jamais l’oublier !
Christian Charreyre
